La crise immobilière chinoise fait reculer l'inflation en Europe
Koen De Leus, Chief Economist chez BNP Paribas Fortis, voit un lien de causalité entre la bulle immobilière en Chine et la baisse attendue de l’inflation en Europe en 2026. Bien que la crise immobilière chinoise présente moins de similitudes qu’il n’en parait à première vue avec celle qui frappa le Japon dans les années 90, elle plonge néanmoins l’économie mondiale dans l’incertitude. En Belgique, l’ampleur des économies à réaliser dans les années à venir constitue également une source d’incertitude. BNP Paribas Fortis examine quels pays ont mené avec succès des exercices de consolidation similaires ces dernières décennies, qui ont permis de réduire le déficit d’au moins 3% du PIB. Dans le domaine des marchés financiers, le Chief Strategist Philippe Gijsels soutient que, face à l’essor de l’intelligence artificielle, nous sommes, pour la première fois dans l’histoire, confrontés à des « entreprises à double cycle ». Il tient également compte d’une surprise sur le marché pétrolier.

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Partie I : aperçu macro-économique
En général, les économistes de BNP Paribas Fortis constatent une forte résilience de l’économie mondiale. Cela se reflète dans les chiffres de croissance et d’inflation.
États-Unis
Les États-Unis connaissent un atterrissage en douceur, en partie grâce à une banque centrale américaine accommodante. La Réserve fédérale a déjà baissé les taux d’intérêt à court terme à deux reprises en 2025, et BNP Paribas Fortis prévoit une nouvelle baisse de taux avant la fin de l’année, à 3,75%. Les prévisions pour la fin 2026 anticipent une baisse supplémentaire de 50 points de base, pour atteindre 3,25%.
À cela s’ajoute le « Big Beautiful Bill » de Donald Trump, qui peut encore alimenter l’économie et l’inflation. En conséquence, la croissance économique devrait atteindre 1,9% en 2026, soit le même niveau qu’en 2025. BNP Paribas Fortis prévoit une inflation américaine de 2,8% en 2025 et une moyenne de 3,1% en 2026.
Zone euro
Dans la zone euro, la croissance en 2025 – compte tenu de la guerre commerciale et de l’incertitude qui en découle – devrait atteindre un total plus que décent de 1,4%. La croissance devrait également atteindre 1,4% pour 2026.
Pour la Belgique, la banque prévoit des taux de croissance à 1% en 2025 et à 1,1% en 2026. Le nowcast de BNP Paribas Fortis indique une croissance de 0,3% pour le trimestre en cours.
La divergence de croissance entre les différents pays de la zone euro est frappante, l’Espagne étant un cas positif (grâce à la part importante du tourisme, entre autres) et l’Allemagne un cas négatif avec une croissance d’à peine 0,3% en 2025. Mais alors que l’économie allemande stagne depuis 2019, cette situation prendra fin en 2026 grâce à un immense plan d’investissement de 500 milliards d’euros étalé sur les dix prochaines années (avec, en outre, une augmentation presque aussi forte des dépenses de défense). Ce faisant, le plan équivaut aux investissements du Plan Marshall qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale. Il dépasse même les énormes investissements que l’Allemagne de l’Ouest a réalisés en Allemagne de l’Est durant les années suivant la réunification allemande.
Malgré une croissance soutenue, nous constatons que l’inflation dans la zone euro passe de 2,1% en 2025 à 1,8% en 2026, sous l’objectif de 2% fixé par la Banque centrale européenne. La vigueur de l’euro joue un rôle dans ce processus : BNP Paribas Fortis prévoit un taux de change de 1,22 dollar pour 1 euro d’ici la fin 2026.
La bulle immobilière chinoise pèse sur l’Europe
Une autre cause de cette baisse de l’inflation en Europe est la chute des prix en Chine. En raison de l’accès plus difficile au marché américain, la Chine vend de plus en plus sa surproduction en Europe.
Koen De Leus, Chief Economist de BNP Paribas Fortis : « De cette manière, elle 'exporte' vers l’Europe ses prix en baisse, qui résultent des difficultés économiques en Chine dues à l’implosion de la bulle immobilière. La durée de cette situation – et la durée pendant laquelle la Chine restera un frein à la croissance mondiale plutôt qu’un stimulus – dépendra du délai avant l'éclatement définitif de cette bulle immobilière. »
Le pire scénario serait que la situation en Chine suive la même trajectoire que la défaillance du secteur immobilier japonais, qui a commencé en 1991. La baisse continue des prix des appartements à Tokyo a alors duré plus de 10 ans, et l’indice national des prix de l’immobilier au Japon a baissé pendant près de 20 ans.
Pas de scénario « à la japonaise »
Cependant, BNP Paribas Fortis prévoit que le ralentissement du marché immobilier chinois – qui dure depuis maintenant 4 ans – sera bien plus court que celui du Japon. En Chine, on observe une baisse plus rapide et plus marquée des prix de l’immobilier, le secteur bancaire est résilient et les autres secteurs économiques ne sont que légèrement affectés. Du côté de l’offre, on constate que le nombre actuel de logements neufs en Chine diminue progressivement, approchant la demande structurelle. En d’autres termes, l'offre excédentaire de maisons neuves touche presque à sa fin, ce qui suggère que le plancher des prix de l’immobilier sera bientôt atteint.
Ce processus peut être accéléré par des choix politiques conscients tels que des taux d’intérêt hypothécaires plus bas et des rénovations à grande échelle dans les quartiers-villages. Mais avant qu’une reprise finale ne s’installe, il faut d’abord surmonter les vents contraires cycliques, notamment la faible confiance des consommateurs, des stocks toujours élevés de maisons invendues et l’écart trop large entre faibles rendements locatifs et taux hypothécaires élevés.
La Chine peut tirer de nombreuses leçons essentielles de la crise immobilière japonaise. «La Chine a limité les dégâts causés au secteur bancaire et a empêché un ralentissement trop important de la croissance économique potentielle », déclare Koen De Leus. « L’immobilier était un pilier important de la croissance chinoise avant la crise. Aujourd’hui, le pays développe et soutient de nouveaux secteurs économiques et connaît une transition progressive d’une économie axée sur l’investissement vers une économie axée sur la consommation, ce qui montre que la Chine évolue également sur la bonne voie.»
Incertitude, également en Belgique
L’économie chinoise n’est certainement pas la seule source d’incertitude. Cela se reflète également en Belgique, ce qu'illustrent les grandes divergences entre experts au sujet des perspectives de croissance pour 2026 dans notre pays. Entre spécialistes, ces chiffres de croissance varient même du simple au double. D'autres pays connaissent des phénomènes plus ou moins similaires.
Pour la Belgique en particulier, ces écarts de prévisions de croissance sont causés par plusieurs facteurs d’incertitudes : les doutes entourant les efforts budgétaires prévus pour 2026, le début des impressionnants investissements allemands dans les infrastructures et l’impact des droits de douane américains sur nos importations (ainsi que la décision de la Cour suprême des États-Unis à ce sujet).
Économies : de nombreux pays l’ont fait pour la Belgique
Cependant, le principal point d’incertitude pour la Belgique reste l’étendue des économies budgétaires à réaliser dans les années à venir. Un effort d’austérité de 3% du PIB sur les 4 prochaines années serait un bon point de départ. Par le passé, de nombreux pays ont déjà réalisé de tels efforts.
BNP Paribas Fortis a analysé 24 consolidations qui ont eu lieu dans les pays de l’UE et de l’OCDE au cours des deux premières décennies de ce siècle. Le critère : améliorer le déficit primaire de 3% ou plus du PIB. Certains pays, dont le Portugal et la République tchèque, ont répété l'exercice à trois reprises durant cette période. Pas une seule fois en Belgique. Pourtant, pour l’économie belge, le mot-clé est «consolidation fiscale» (l’amélioration du solde budgétaire).
En moyenne, les pays sont parvenus à ramener leur déficit de plus de 3% à un peu plus de 0%. Le pays moyen l’a fait presque exclusivement en réduisant les dépenses, les hausses de recettes arrivant en deuxième position, mais loin derrière. La consolidation peut être nuisible, comme en témoigne le ralentissement limité de la croissance que beaucoup de ces démarches ont entraîné. Mais par la suite, le pays moyen a connu une croissance plus élevée. Et cela est particulièrement vrai pour les pays où les dépenses ont été réduites.
Partie II : les marchés financiers
En 2025, les marchés ont de nouveau été marqués par la volatilité. L’incertitude géopolitique et la fragmentation économique qui l’accompagnent ont provoqué d’importants mouvements sur les marchés cette année, typiques de la période que Neil Howe appelle « le quatrième tournant »1. Ce ne sera pas différent en 2026.
Relance monétaire et budgétaire
L’une des conclusions du livre « Les 5 Tendances de la Nouvelle Économie Mondiale »2 de Koen De Leus et Philippe Gijsels, publié en 2023, reste d'actualité : en raison d’une inflation et de taux d’intérêt plus élevés, le cash reste particulièrement peu intéressant et les actifs réels continuent de bien performer. Cela inclut les matières premières, l’immobilier, les pigeons voyageurs, les bijoux, les voitures de collection et les actions.
Les investisseurs ont compris que les actions restent une option à privilégier. Les gouvernements et les banques centrales, qui n’ont guère d’autre choix que de creuser leurs dettes, fournissent suffisamment de carburant pour le rebond boursier sous forme de stimulus budgétaires et monétaires. Nous assistons au même phénomène dans pratiquement tous les grands blocs économiques :
- Le vaste plan d’infrastructures en Allemagne.
- Les baisses de taux d’intérêt aux États-Unis.
- La Chine procède à une injection de liquidités (fiscale et monétaire) pour tenter de sortir la deuxième économie mondiale de la récession.
- Et au Japon, la nouvelle Première ministre se prépare à donner un coup de pouce à l’économie.
De plus, malgré des échos parfois négatifs, le progrès ne s’arrête pas. Les bilans des entreprises restent sains et la croissance des bénéfices solide. Dans le domaine de la technologie et de l’innovation, de nombreuses idées qui changeront le monde et, espérons-le pour un mieux, sont en cours de développement.
Équilibre entre les actions technologiques et les autres secteurs
D’un point de vue d’investissement, il ne serait donc pas judicieux d’ignorer totalement le secteur technologique, malgré des valorisations qui apparaissent élevées. Pourtant, l'exception américaine aura subi un coup dur en 2025. Alors qu’auparavant les investissements allaient automatiquement aux bons du Trésor américain et aux actions américaines sans trop de questions, la liquidité se répartit plus uniformément à travers le monde depuis le début de cette année. C’est une tendance qui se poursuivra dans les années à venir.
Les investisseurs disposent désormais d’un éventail de choix plus large.
Philippe Gijsels, Chief Strategist chez BNP Paribas Fortis : « Il est donc plus important que jamais de trouver le bon équilibre entre le secteur technologique, qui est presque par définition américain, et tous les autres secteurs. Cependant, si le rallye se poursuit en 2026, un affaiblissement supplémentaire du dollar américain serait une préoccupation majeure. Les marchés boursiers resteront également très volatils l’année prochaine.»
Des entreprises à double cycle grâce à l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle occupe une place tellement importante sur les marchés que les comparaisons avec la bulle internet de la fin des années 90 se multiplient. Sur plusieurs points, cette comparaison est certes pertinente, mais une différence importante est à noter : pour la première fois dans l’histoire financière et économique, nous avons affaire à des sociétés dites « à double cycle ». Les entreprises leaders du cycle actuel de l’IA sont les mêmes que dans le cycle internet et informatique. Elles se partagent à nouveau la part du lion du chiffre d’affaires, des profits et de la valeur ajoutée. De plus, elles atteignent une capitalisation boursière monumentale, ce qui s’explique en partie précisément parce qu’elles génèrent de la valeur ajoutée et des gains de productivité sur deux cycles.
Cela diffère, par exemple, de l’émergence de l’industrie ferroviaire ou automobile, où un grand nombre de nouvelles entreprises ont été créées grâce à l’afflux important d’investissements massifs. Une grande partie de ces entreprises n’était pas viable, si bien que les « survivants » de ces nouvelles entreprises sont devenus les leaders de la nouvelle industrie.
Matières premières et métaux précieux
Malgré les fortes hausses de cette année, nous sommes au début plutôt qu’à la fin de ce qui pourrait être le plus long cycle des matières premières de l’histoire. Par exemple, la demande pour les métaux (de batterie) explose en raison de la révolution de l’électrification. Mais ce qui est encore plus important, c’est le manque d’approvisionnement.
Parce que trop peu d’investissements ont été réalisés depuis des décennies, de nombreuses matières premières sont désormais « en déficit ». « L’offre ne peut pas suivre la demande, et ce déséquilibre ne peut être résolu que par des prix nettement plus élevés », explique Philippe Gijsels. «De plus, même des investissements massifs dans les matières premières dures3 ne feraient qu’augmenter l’approvisionnement après une très longue période. Par le passé, les augmentations brutales des prix des matières premières en déficit étaient monnaie courante.» Le marché haussier vient tout juste de commencer pour les métaux précieux. L’or, l’argent et le platine continueront de bien performer dans un environnement volatil et inflationniste.
Une surprise du côté du prix du pétrole ?
Le pétrole est l’une des rares matières premières en surplus à l’heure actuelle. L’approvisionnement supplémentaire en pétrole ces dernières années ne provenait pas de l’OPEP+, mais du pétrole de schiste américain. Il y a des signes qui indiquent que cette croissance de l’offre, et plus précisément celle de la base permienne, atteint progressivement son apogée. Cela pourrait surprendre en 2026 : l’offre et la demande sur le marché pétrolier pourraient se rééquilibrer, voire engendrer une situation de déficit, ce qui aurait un impact sur le prix du pétrole.
Note : la rédaction de ce texte a été arrêtée au 19 novembre 2025.
1 Howe, N. (2023). The Fourth Turning Is Here: What the Seasons of History Tell Us about How and When This Crisis Will End. India: Simon & Schuster.
2 De Leus, K., Gijsels, P. 2023. Les 5 tendances de la nouvelle économie mondiale: Investir en période de superinflation, d’hyperinnovation et de transition climatique. Bruxelles: Racine Lannoo.
3 Des exemples de matières premières dures sont le cuivre, l’aluminium et le lithium.


















